Les gens qui ne pratiquent pas l’hypnose comprennent mal l’induction. Pour le profane, c’est le moment précis où, Messmer par exemple, dis « dormez » et que les gens s’effondrent dans ses bras.
« Audrey, est-ce que vous savez que vous souffrez d’un maux ? Est-ce que vous savez que vous êtes amnésique ?» À mon avis, la formulation n’est pas des plus heureuse. Lorsqu’il emploie le mot « souffrez », il perd un peu du rapport qu’il avait avec elle. On peut percevoir l’instant d’après sur la vidéo un léger recul du sujet qui marque cette perte de rapport. Lorsqu’il lui intime de dormir l’instant d’après elle réouvre les yeux, signe d’une perte de leading ; il doit lui demander une nouvelle fois « dormez, maintenant, debout » pour qu’elle consente à se laisser aller.
Deuxième formulation hasardeuse lorsqu’il lui dit « Le chiffre sept n’existe plus pour vous. Vous avez oublié le chiffre sept. » Il prononce cinq fois « sept » ce qui fait que bien évidemment, dans le contexte de cette perte de rapport, la seule chose qu’Audrey a à l’esprit, c’est le chiffre sept qu’elle était justement sensé oublier.
On voit cette défiance inconsciente d’Audrey lorsqu’elle compte sur ses doigts. Après avoir compté les doigts de ses mains dans un sens et alors que Messmer l’invite ostensiblement à poursuivre ainsi sur l’autre main, elle réagit en comptant de gauche à droite de un à cinq puis de droite à gauche de six à dix. Sans omettre le sept, au grand désarroi de Messmer.
Tous les hypnotiseurs font de la communication à double-niveau, parce qu’ils doivent communiquer en même temps à la conscience et à l’inconscient. Un hypnotiseur de spectacle doit également communiquer avec son public, ce qui rajoute de la complexité. Dans le cas présent, Messmer est dans son élément : il a endormis tout le monde sur le plateau de manière spectaculaire, la journaliste qui tiens le micro l’a présenté comme une star mondiale, tous les voyants sont au vert. Malgré cela, la situation est très complexe puisqu’il cherche maintenant à communiquer avec les téléspectateurs. Mais il doit faire cela tout en continuant de donner des suggestions à son sujet.
Si il avait utilisé des techniques de confusion ou des métaphores, cela n’aurait peut-être pas été très intelligible pour le spectateur, peu habitué à cette époque à ce genre de démonstrations. Il a donc choisis une approche maladroite du point de vue de la technique hypnotique, mais efficace compte tenu des contraintes auxquelles il était soumis.
Et maintenant que l’idée était comprise de tous, on le voit réitérer avec cette fois-ci beaucoup plus de succès. Pourtant il lui dit bien « au compte de trois, le chiffre sept sera disparu de votre esprit », pourquoi est-ce que cela fonctionne cette fois-ci ?
C’est une question de rapport. Il y a deux séquences, la première à 7’25 et la seconde à 8’25, où Messmer redonne la même suggestion d’amnésie. Dans la première séquence, on peut voir que son attention est partagée entre son sujet, la journaliste et la caméra. Dans la seconde séquence, il est focalisé sur son sujet et il le reste jusqu’à ce que la suggestion ait fonctionné, à 8’53.
Les mouvements du corps d’Audrey entre 8’40 et 9’ sont fascinants. Messmer, en lui posant les questions « 4 + 2 » puis « 4 + 3 » parvient à retrouver le leading, c’est très apparent. Ce n’est que lorsqu’il a repris le lead qu’il cherche à éprouver la suggestion, avec succès. Dès qu’il se tourne vers la journaliste ensuite, Audrey semble de nouveau « aimantée » par le fascinateur, ce qui se confirme dans la séquence de dialogues qui suit.
Le rapport pour un hypnothérapeute c’est en quelque sorte de se brancher sur le sujet afin d’être capable de le guider vers l’état d’hypnose et de le stabiliser dans cet état afin de pouvoir en utiliser ses vertus de manière stratégique.
Messmer utilise l’hypnose pour émerveiller son public, pour lui apporter un peu de magie et de rêve. Certaines personnes ne comprennent pas que le cadre est d’une importance capitale. L’état d’hypnose est un état naturel. Même si on peut utiliser cet état pour soigner ou soulager des maux, on peut aussi l’utiliser pour se distraire. Messmer doit se brancher sur ses sujets, comme un hypnothérapeute sur ses consultants, c’est la même technique, mais suivant qu’on l’utilise pour aller mieux ou pour s’amuser, elle fonctionne différemment.
En rétablissant le rapport et en restaurant son lead, Messmer parvient donc à provoquer une aphasie. Il y a divers degrés dans l’accomplissement d’une suggestion. Pour l’amnésie, le sujet peut avoir complètement oublié le chiffre, mais garder ou non en mémoire le souvenir d’avoir reçu cette suggestion. Ici, la personne n’a pas oublié, mais n’arrive plus à prononcer le mot, cela s’appelle une aphasie.