Source : http://www.hypnose.com.fr/hypnose-freud.htm
Auteur : Olivier Lockert
Quand on déclare que Freud a « abandonné l’hypnose », on sous-entend-on que cette pratique n’était pas à la hauteur du Maître, pas assez « correcte », « éthique », ou « efficace » ? Freud a pourtant laissé des lettres manuscrites pour envoyer certains de ses patients à des confrères hypnothérapeutes, et ce tout au long de sa carrière de psychanalyste. Il a même affirmé deux ans avant sa mort, en 1937, qu’« il n’y a pas de substitut à l’hypnose ».
L’auteur de l’article estime donc qu’il ne faudrait pas faire un raccourci entre le fait que Freud a cessé de pratiquer l’hypnose et un quelconque jugement de valeur sur la discipline de sa part.
C’est Bernheim qui enseigne l’hypnose à Freud, lequel admire tellement son maître qu’il traduit l’ensemble de ses ouvrages en allemand. Puis Freud rédige lui-même un livre sur l’hypnose, en 1895, en collaboration avec Breuer : Études sur l’hystérie. Freud a suivi ses études auprès de Charcot, à cette époque superintendant de l’hôpital de la Salpêtrière à Paris. Cela lui a permis de rencontrer Pierre Janet, directeur du laboratoire de psychopathologie, père de la psychologie clinique et de la régression hypnotique. En collaboration avec Janet et Breuer, Freud développe le concept de l’association libre, qui sera plus tard un point de départ à la psychanalyse.
Car oui, l’auteur insiste, psychanalyse et hypnose sont étroitement liées. Il affirme même que la pensée de Freud a été déformée et biaisée par de nombreuses idées fausses… Mais son but n’étant pas de réanimer de vieilles querelles, il nous propose ici un texte de Freud sur l’hypnose, inédit et étrangement très moderne.
Paru en 1891, l’année même où Bernheim créait le mot « psychothérapie », ce cours d’hypnose par Freud n’a été diffusé avant longtemps. Découvert en 1963, puis publié en anglais dans la Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud (traduction de l’allemand en anglais par James Strachey), le texte n’a vu sa version française advenir qu’en 1976 dans la Revue de médecine psychosomatique (traduction de Cotet, Bourguignon, Altounian et Rauzy).
Il s’agit bien d’un cours : d’un abord et d’une structure très pratiques, il expose des idées et des concepts que Milton Erickson lui-même, en tant que praticien d’hypnose, aurait pu énoncer – ou d’autres hypnothérapeutes plus modernes encore. L’auteur nous le livre ici tout en nous rappelant sa date initiale, 1891, afin de nous faire prendre conscience du contexte de son époque, et pourtant de sa modernité…
« Ce serait une erreur de croire qu’il est très facile de pratiquer l’hypnose à des fins thérapeutiques. La technique de l’hypnotisme est bien plutôt une opération médicale aussi difficile que n’importe quelle autre. Le médecin qui veut hypnotiser devrait l’avoir appris d’un maître dans cet art et aura, même alors, besoin d’une grande pratique personnelle pour obtenir des succès autrement que dans des cas isolés. Alors, en tant qu’hypnotiseur expérimenté, il se mettra à l’œuvre avec ce sérieux et cette détermination nés de la conscience d’entreprendre quelque chose d’utile, voire, dans certaines circonstances, de nécessaire. Le souvenir de tant de guérisons obtenues par l’hypnose conférera à son comportement face au patient une sûreté qui ne manquera de susciter, chez ce dernier aussi, l’attente d’un nouveau succès thérapeutique.
Celui qui aborde l’hypnotisme à moitié incrédule, qui, ce faisant, se trouve peut-être lui-même tout drôle, qui révèle, par sa mimique, sa voix et ses gestes, qu’il n’attend rien de la tentative, n’aura aucune raison de s’étonner de ses insuccès et devrait plutôt laisser cette méthode de traitement à d’autres médecins qui sont en mesure de la pratiquer sans se sentir atteints dans leur dignité médicale, parce qu’ils se sont, par l’expérience et la lecture, persuadés de la réalité et de l’importance de l’influence hypnotique.
On se fera une règle de ne chercher à imposer à aucun malade le traitement hypnotique. Il existe dans le public un préjugé, appuyé même par des médecins éminents mais ignorants en la matière, selon lequel l’hypnose serait une intervention dangereuse. Chercherait-on à imposer l’hypnose à une personne qui accorderait foi à ces dires, on serait vraisemblablement, après quelques minutes seulement, perturbé par des incidents fâcheux, qui naissent de l’angoisse du malade et de la sensation pénible pour lui d’être violenté, mais qui seraient très certainement tenus pour des suites de l’hypnose. Là où s’élève une forte résistance contre un projet d’hypnose, on renoncera à cette méthode et l’on attendra que le malade se soit, sous l’influence d’autres informations, familiarisé avec l’idée d’être hypnotisé. Par contre, il n’est absolument pas gênant qu’un malade déclare n’éprouver aucune angoisse devant l’hypnose, mais ne pas croire en elle ou ne pas croire qu’elle puisse lui être utile. On lui dit alors : « Je n’exige pas votre foi, mais simplement votre attention et quelque docilité au début », et l’on trouve le plus souvent dans cette disposition indifférente du malade un remarquable soutien.
Par ailleurs, il faut affirmer qu’il existe des personnes qui sont empêchées de tomber dans l’hypnose, précisément par leur disponibilité et leur désir. Cela ne cadre absolument pas avec l’opinion courante selon laquelle il n’y a pas d’hypnose sans « foi », mais il n’en est pourtant pas autrement. On a le droit, en général, de partir de l’hypothèse que tous les hommes sont hypnotisables, à cela près que chaque médecin en particulier aura un certain nombre de personnes qu’il ne pourra pas hypnotiser dans les conditions de ses expériences, sans que souvent il puisse dire à quoi a tenu l’insuccès. Parfois, un procédé obtient aisément ce qui semblait impossible avec un autre, et la même chose vaut pour des médecins différents. De ce fait, on ne sait jamais si un malade pourra être hypnotisé ou non et l’on n’a pas d’autre voie pour l’apprendre que l’expérience elle-même. Jusqu’à présent, on n’est pas parvenu à mettre en rapport l’accessibilité à l’hypnose avec une autre qualité de l’individu. Une seule chose est exacte : les malades mentaux et les dégénérés ne sont, la plupart du temps, pas hypnotisables, les neurasthéniques ne le sont que très difficilement ; il est inexact que les hystériques ne soient pas aptes à l’hypnose. C’est bien plutôt chez ces derniers justement que l’hypnose apparaît à la suite d’interventions d’ordre purement physiologique et avec tous les signes d’un état corporel particulier.
Il est important de se faire une opinion provisoire sur l’individualité psychique d’un malade que l’on veut soumettre à l’hypnose, mais, pour cela, on ne peut précisément pas établir de règle générale. Mais il est évident qu’il n’est pas avantageux de commencer un traitement médical par l’hypnose et qu’il vaut mieux, tout d’abord, gagner la confiance du malade et laisser sa méfiance et sa critique s’émousser. Qui dispose en tant que médecin ou hypnotiseur d’une grande réputation peut toutefois se dispenser de ces préliminaires.
Contre quelles maladies doit-on faire usage de l’hypnose ? Des indications sont ici plus difficiles à poser que pour d’autres méthodes thérapeutiques, étant donné que la réaction individuelle joue, lors de la thérapeutique hypnotique, un rôle presque aussi grand que la nature de la maladie à combattre. En général, on évitera d’attaquer par l’hypnose les symptômes qui ont un fondement organique et l’on n’utilisera cette méthode que pour lutter contre des troubles nerveux purement fonctionnels, des maux d’origine psychique et des accoutumances toxiques ou autres. Mais l’on se persuadera que bien des symptômes de maladies organiques sont accessibles à l’hypnose et que l’altération organique peut exister sans le trouble fonctionnel qui en découle, vu l’aversion présente à l’endroit du traitement hypnotique, on est rarement amené à utiliser l’hypnose sans avoir auparavant essayé sans succès toutes les autres thérapeutiques. Cela a du bon, car on apprend de cette manière quel est le véritable champ d’action de l’hypnose. On peut naturellement hypnotiser aussi à des fins de diagnostic différentiel, par exemple quand on est dans le doute sur l’appartenance de certains symptômes à l’hystérie ou à une maladie nerveuse organique. Mais cette épreuve n’a quelque valeur que dans le cas d’un résultat favorable.
Quand on connaît bien son malade et qu’on a établi le diagnostic se pose la question de savoir si on va entreprendre l’hypnose en tête-à-tête ou si on fait appel à une personne de confiance. Cette mesure serait souhaitable autant pour protéger les malades de l’abus de l’hypnose que pour protéger le médecin contre l’accusation d’un tel abus. Et l’un et l’autre se sont produits ! Mais une telle mesure ne peut être généralisée. La présence d’une amie, du mari ou d’une autre personne perturbe souvent la malade très gravement et réduit incontestablement l’influence du médecin, par ailleurs le contenu de la suggestion, devant être donné dans l’hypnose, n’est pas toujours propre à être communiqué à d’autres personnes proches de la malade. L’appel à un second médecin n’aurait pas cet inconvénient, mais il complique la conduite du traitement au point de la rendre impossible dans la majorité des cas. Comme ce qui importe avant tout au médecin, c’est de faire, par l’hypnose, œuvre utile, il renoncera, dans la plupart des cas, à faire appel à une tierce personne et il ajoutera le danger évoqué plus haut à tous ceux qui sont inhérents à l’exercice de la profession médicale. Mais la malade se protégera elle-même, en ne se laissant pas hypnotiser par un médecin qui ne lui paraît pas digne de sa plus totale confiance.
Par contre, il est d’une grande importance que la malade à hypnotiser voie d’autres personnes sous hypnose, qu’elle sache par la voie de l’imitation, comment elle a à se comporter et qu’elle apprenne par d’autres en quoi consistent les sensations de l’état hypnotique. À la clinique de Bernheim et à la consultation de Liébeault à Nancy, où chaque médecin peut recueillir des éclaircissements sur les effets dont l’influence hypnotique est capable, l’hypnose n’est jamais conduite en tête-à-tête. Chaque malade, qui arrive pour sa première séance d’hypnose, regarde un temps le spectacle des malades plus anciens qui s’endorment, qui pendant l’hypnose obéissent et qui, après le réveil, reconnaissent que leurs symptômes morbides ont disparu. Il entre par là dans un état de disponibilité psychique qui le fait sombrer, lui aussi, dans une hypnose profonde dès que vient son tour. L’inconvénient de ce procédé, c’est que les maux de chaque sujet sont commentés devant une grande assemblée, ce qui ne conviendrait pas à des malades de meilleure condition. Un médecin, qui souhaite guérir par l’hypnose, devrait toutefois ne pas renoncer à cette puissante influence auxiliaire et, aussi souvent que possible, laisser la personne à hypnotiser assister d’abord à un ou plusieurs essais hypnotiques réussis.
Voir l’article : les questions qui entourent l’hypnose
Si l’on ne peut pas s’attendre à ce que le malade s’hypnotise lui-même par imitation dès qu’on lui en donnera le signal, on a alors le choix pour amener le malade en état d’hypnose entre différents procédés, qui tous ont en commun de rappeler l’endormissement par certaines sensations corporelles. La meilleure manière de procéder est la suivante : on installe le malade sur un siège confortable, on le prie d’être tout à fait attentif et, désormais, de ne plus parler, étant donné qu’en parlant il mettrait obstacle à l’endormissement. Quelques pièces du vêtement éventuellement gênantes sont enlevées et les autres personnes sont reléguées dans une partie de la pièce où elles ne peuvent être vues du malade. On fait l’obscurité dans la pièce, on veille au calme. Après ces préliminaires, on s’assied en face du patient et on l’invite à fixer deux doigts de la main droite du médecin, tout en faisant très attention aux sensations qui vont se développer.
Après très peu de temps, une minute environ, on commence, on persuade le malade qu’il éprouve les sensations de l’endormissement, par exemple : « Je vois bien que cela va vite avec vous, votre visage a déjà pris une expression figée, votre respiration est devenue plus profonde, vous voilà tout à fait calme, vos paupières sont lourdes, vos yeux papillotent, vous ne voyez plus distinctement, à l’instant vous allez être forcé de déglutir, puis vos yeux se fermeront et vous dormirez. »
Avec de tels propos et d’autres, similaires, on se trouve déjà en plein « processus de suggestion », selon le nom qu’on donne aux paroles de persuasion pendant l’hypnose. Mais l’on ne suggère que des sensations et des processus moteurs, tels qu’ils apparaissent spontanément au cours de l’endormissement hypnotique. On peut s’en convaincre si l’on a devant soi une personne que l’on peut faire entrer en hypnose rien qu’en la fixant (méthode de Braid), chez laquelle par conséquent la fatigue des yeux, lors d’une attention très soutenue et soustraite à toutes les autres impressions, entraîne cet état ressemblant au sommeil. Son visage prend tout d’abord une expression figée, sa respiration devient plus profonde, ses yeux s’humectent, papillotent à maintes reprises, un ou plusieurs mouvements de déglutition interviennent, finalement les pupilles se placent en haut et en dedans, les paupières s’abaissent et l’hypnose est là. Le nombre de semblables personnes est très important ; remarque-t-on que l’on a devant soi l’une d’entre elles, on fera bien de se taire ou de ne recourir qu’occasionnellement à la suggestion. Sinon l’on ne ferait que perturber la personne qui s’hypnotise elle-même et, au cas où la succession des suggestions ne correspondrait pas au déroulement effectif de ses sensations, mobiliser son opposition. Pourtant, en général, on a intérêt à ne pas attendre le développement spontané de l’hypnose, mais bien le favoriser par les suggestions. À condition, alors, qu’elles soient dispensées avec énergie et suivant une succession rapide. Il ne faut pas, en quelque sorte, que le patient puisse reprendre ses esprits, qu’il ait le temps d’examiner si ce qu’on vient de lui dire est également exact. On n’a pas besoin de plus de deux à quatre minutes pour que les yeux se ferment ; s’ils ne sont pas fermés spontanément, on les lui ferme, sans se montrer étonné ou dépité, du manque de fermeture spontanée des yeux. Si, maintenant, les yeux sont fermés, on aura atteint un certain degré d’influence hypnotique. C’est cela qui est le facteur déterminant pour toute la suite.
Une des deux possibilités vient en effet de se produire. La première : le patient a vraiment été mis en état d’hypnose en fixant et en entendant les suggestions, et alors il se comporte calmement après la fermeture des yeux ; on éprouve encore son degré de catalepsie, on lui dispense la suggestion qu’exige son mal et on le réveille à temps. Après le réveil, ou bien il est amnésique, c’est-à-dire qu’il a été durant l’hypnose « somnambule », ou bien il conserve tous ses souvenirs et renseigne sur ses sensations au cours de l’hypnose. Il n’est pas rare qu’apparaisse sur ses traits un sourire, après qu’on lui ait fermé les yeux. Le médecin ne devrait pas s’en fâcher ; cela signifie simplement, en règle générale, que l’hypnotisé est encore en mesure de porter lui-même un jugement sur son état et le trouve étrange, bizarre. Ou encore deuxième possibilité : il n’y a eu aucune influence ou seulement une influence minime, tandis que le médecin se comportait comme s’il était en présence d’une hypnose réussie. Que l’on se représente alors l’état psychique du patient. Au début des préparatifs, il a promis de rester calme, de ne plus parler, de ne manifester aucun signe d’approbation ou d’opposition ; il remarque maintenant que sur la base de ses assentiments il s’est laissé persuader qu’il était hypnotisé, il s’en irrite, se sent mai à l’aise de ne pouvoir extérioriser cela, redoute bien aussi que le médecin lui applique trop rapidement la suggestion parce qu’il le tient pour hypnotisé tandis qu’il ne l’est pas. Et l’expérience montre alors qu’il ne tient pas le pacte qu’on a conclu avec lui parce qu’il n’est pas vraiment hypnotisé. Il ouvre les yeux et la plupart du temps dit avec agacement : « Mais je ne dors pas du tout. » Le débutant donnerait maintenant l’hypnose pour perdue, mais celui qui a de la pratique ne perd pas contenance. Il réplique, sans être fâché le moins du monde, en lui fermant encore une fois les yeux : « Restez calme, vous avez promis de ne rien dire. Je sais bien que vous ne “ dormez ” pas. D’ailleurs ce n’est pas du tout ce qu’on vous demande. À quoi cela rimerait-il que je me contente de vous endormir ; mais vous ne me comprendriez pas quand je parle avec vous. Vous ne dormez pas, mais vous êtes hypnotisé, vous êtes sous mon influence ; ce que je vous dis maintenant fera sur vous une impression particulière et vous sera utile. » Après ces éclaircissements, le malade habituellement se calme, on lui applique la suggestion, on se dispense provisoirement de rechercher les signes corporels de l’hypnose, et la plupart du temps on verra, après la répétition réitérée de cette soi-disant hypnose, surgir également quelques-uns des phénomènes somatiques qui caractérisent l’hypnose.
Dans de nombreux cas de cette espèce, on ne saura jamais si l’état qu’on a provoqué mérite le nom d’hypnose. Mais on aurait tort de vouloir limiter l’application de la suggestion à ces autres cas dans lesquels le patient devient somnambule ou sombre dans un profond degré d’hypnose. On peut dans de tels cas, qui, à vrai dire, n’ont de l’hypnose que l’apparence, obtenir les succès thérapeutiques les plus étonnants, auxquels par ailleurs on ne peut parvenir par la « suggestion à l’état de veille ». Il faut donc bien, ici encore, qu’il s’agisse d’une hypnose qui, à dire vrai, ne se voit assigner d’autre but que les effets obtenus en elle par la suggestion.
Mais si, après des essais répétés (trois à six), on n’obtient ni un présage de succès ni l’un des signes somatiques de l’hypnose, on ne poussera pas plus loin la tentative. Bernheim et d’autres ont distingué plusieurs degrés d’hypnose, dont la nomenclature est pour le praticien de peu de valeur.
Une seule chose est d’une importance déterminante, c’est que le malade soit devenu ou non somnambule, c’est-à-dire que l’état de conscience créé dans l’hypnose tranche si nettement avec l’état habituel qu’au réveil le souvenir de ce qui s’est produit pendant l’hypnose fait défaut. Dans ces cas, le médecin peut démentir, avec une grande fermeté, les douleurs ou autres symptômes existant dans la réalité, fermeté à laquelle il ne parvient habituellement pas s’il sait que le malade lui dira après quelques minutes : « Quand vous avez dit que je n’avais plus de douleurs, je les avais quand même et je les ai toujours. » L’effort de l’hypnotiseur tend à s’éviter de telles contradictions qui ne peuvent manquer d’ébranler son autorité. Il serait donc de la plus grande importance pour la thérapeutique d’être en possession d’un procédé qui permettrait de mettre quiconque en état de somnambulisme. Ce procédé n’existe malheureusement pas. Le défaut essentiel de la thérapeutique hypnotique c’est de n’être pas dosable. Le degré d’hypnose accessible ne dépend pas du procédé du médecin, mais de la réaction fortuite du patient. Il est également très difficile d’approfondir l’hypnose dans laquelle sombre un malade, mais cela se produit en général grâce à une fréquente répétition des séances.
Si l’on n’est pas satisfait de l’hypnose obtenue, on recherchera, lors des répétitions, d’autres méthodes qui, souvent, ont un effet plus fort ou dont l’effet se prolonge, alors que l’influence du procédé utilisé précédemment s’est affaiblie. Ces procédés sont les suivants : passer pendant cinq à dix minutes sans s’arrêter les deux mains sur le visage et le corps du patient, ce qui a un effet étonnamment apaisant et assoupissant, suggestionner pendant le passage d’un courant galvanique faible, qui fait naître une sensation gustative précise (l’anode en large bandeau sur le front, la cathode en bracelet au poignet), à l’occasion de quoi l’impression d’être enchaîné et la sensation galvanique concourent à l’hypnose de façon essentielle. On peut s’inventer à son gré des procédés analogues pour peu qu’on ne perde pas des yeux ce but : faire naître par association de pensées l’image de l’endormissement et fixer l’attention par une sensation invariable. La valeur curative propre à l’hypnose réside dans la suggestion que l’on applique au cours de celle-là. Cette suggestion consiste à dénier énergiquement les souffrances dont le malade s’est plaint ou à assurer qu’il pourrait faire quelque chose ou à lui ordonner de l’exécuter. On obtient un effet beaucoup plus puissant que la simple assurance ou la simple dénégation en reliant la guérison attendue à une action ou une intervention au cours de l’hypnose, par exemple : « Vous n’avez plus de douleurs à cet endroit, j’appuie dessus et la douleur est partie. » Passer les mains et appuyer sur la partie malade du corps au cours de l’hypnose est de toute façon un soutien remarquable de la suggestion verbale. On ne se dispensera pas non plus d’éclairer l’hypnotisé sur la nature de ses souffrances, de justifier à ses yeux l’arrêt de ses souffrances, etc., car la plupart du temps on n’a pas devant soi un automate psychique, mais un être doué de critique et de jugement, sur lequel la situation présente nous permet seulement d’exercer plus d’influence que dans son état de veille. Lors d’une hypnose imparfaite, on évitera de laisser parler le patient ; cette extériorisation motrice disperse le sentiment d’engourdissement que l’hypnose lui garantit et le réveille. Les personnes somnambules, on les laisse, sans s’inquiéter, parler, marcher, travailler, et l’on obtient l’influence psychique la plus étendue en les interrogeant en cours d’hypnose sur leurs symptômes et l’origine de ceux-ci.
Par la suggestion, on requiert soit un effet immédiat, et ceci en particulier lors du traitement de paralysies, contractures et autres, soit un effet post-hypnotique, c’est-à-dire une action que l’on fixe à une heure déterminée après le réveil. Pour toutes les souffrances opiniâtres, on a grand avantage à intercaler une telle période d’attente (toute une nuit même) entre la suggestion et son accomplissement. L’observation des malades montre que les impressions psychiques ont, en règle générale, besoin d’un certain temps, temps d’incubation, pour provoquer une modification physique (cf. névrose traumatique). On dispensera chaque suggestion isolée avec la plus grande fermeté, car chaque indice de doute sera remarqué par l’hypnotisé et exploité défavorablement ; avant tout, on ne laissera aucune contestation se faire jour et l’on se référera, si l’on s’y croit autorisé, au pouvoir que l’on détient de faire naître catalepsie, contractures, anesthésie et autres.
Voir aussi : névrose ou psychose ?
On réglera la durée d’une hypnose en fonction des nécessités pratiques ; une hypnose d’un temps assez long, allant jusqu’à plusieurs heures, n’est absolument pas défavorable au succès. Le réveil est déclenché par cet appel : « Ça va pour aujourd’hui » et autres formules. On ne négligera pas, lors des premières hypnoses, d’assurer qu’on se réveillera sans maux de tête, frais et dispos. Toutefois, on peut observer que de nombreuses personnes se réveillent, même après des hypnoses légères, la tête lourde, et fatiguées, quand la durée de l’hypnose a été trop brève. Elles ont, pour ainsi dire, encore sommeil.
La profondeur de l’hypnose n’est pas dans chaque cas en rapport direct avec son succès. On peut, dans les hypnoses les plus légères, provoquer de grandes modifications et, par contre, éprouver un échec dans le somnambulisme. Si le succès souhaité n’intervient pas après un petit nombre d’hypnoses, un autre aspect fâcheux inhérent à cette méthode se manifeste. Tandis qu’aucun malade n’a le droit de s’impatienter lorsque la vingtième séance électrique ou la vingtième bouteille d’eau minérale n’a pas encore apporté de guérison, il est de fait que, lors d’un traitement hypnotique, médecin et patient se fatiguent beaucoup plus tôt, par suite du contraste entre les suggestions intentionnellement maintenues en rose et la grise réalité. Des malades intelligents peuvent, ici encore, rendre au médecin la tâche plus facile, dès qu’ils ont compris qu’au cours de l’application de la suggestion le médecin joue en quelque sorte un rôle, et qu’ils ont d’autant plus avantage à attendre que le médecin nie plus énergiquement la souffrance. Dans chaque traitement hypnotique poursuivi, il faut éviter soigneusement de se montrer monotone. Il faut que le médecin invente constamment une nouvelle amorce pour sa suggestion, une nouvelle preuve de sa puissance, une nouvelle variante de la procédure hypnotique. Cela représente pour lui, qui peut-être doute intérieurement du succès, une fatigue considérable et finalement épuisante.
Il ne fait aucun doute que le domaine de la thérapeutique par l’hypnose dépasse très largement celui des autres méthodes curatives des maladies nerveuses. Le reproche selon lequel l’hypnose n’est capable d’influencer que les symptômes, et ceci seulement pour peu de temps, est également injustifié. Si la thérapeutique par l’hypnose s’attaque seulement aux symptômes et non aux processus morbides, elle suit justement la même voie que celle que sont forcées d’emprunter les autres thérapeutiques.
Si l’hypnose a eu du succès, le maintien de la guérison dépend des mêmes facteurs que ceux de toute guérison obtenue d’autre manière. S’il s’est agi des séquelles d’un processus éteint, la guérison sera durable ; si les causes qui ont engendré les symptômes de la maladie continuent à agir avec une vigueur intacte, la récidive est vraisemblable. En aucun cas, l’utilisation de l’hypnose n’exclut celle d’une autre thérapeutique éventuelle, diététique, mécanique, etc. Dans une série de cas où les manifestations de la maladie sont d’origine purement psychique, l’hypnose satisfait à toutes les exigences que l’on peut avoir à l’égard d’une thérapeutique causale, et en interrogeant et calmant le malade sous hypnose profonde on obtient la plupart du temps le plus brillant des succès.
Tout ce qui a été dit et écrit sur les grands dangers de l’hypnose est du domaine de la fable. Si l’on excepte l’emploi abusif de l’hypnose à des fins illicites, possibilité existant pour tout autre moyen thérapeutique efficace, il reste encore tout au plus à tenir compte de la tendance qu’ont des personnes gravement malades des nerfs, hypnotisées à plusieurs reprises, à tomber en hypnose également de façon spontanée. Le médecin est en mesure d’interdire aux malades ces hypnoses spontanées qui, cependant, ne devraient apparaître que chez des individus très réceptifs. Les personnes dont la réceptivité va si loin qu’elles peuvent être hypnotisées malgré elles, on les protège également d’une manière à peu près satisfaisante en leur suggérant que seul leur médecin est en état de les hypnotiser. »