Comment fait Messmer pour hypnotiser ?

Éric peut être considéré comme l’un des grands hypnotiseurs de spectacle du XXIème siècle. Son nom est un hommage à Franz Anton Mesmer.
Mesmer et Messmer affirment tous deux utiliser une sorte de magnétisme pour plonger les gens en état d’hypnose.
Messmer prétend ainsi utiliser des techniques de programmation neuro-linguistique, d’hypnose, mais aussi de transfert d’énergie ou de regard, et c’est pour cela qu’il ne se considère pas comme un hypnotiseur, mais davantage comme un « fascinateur ».
Bien que son cadre de travail soit très différent de celui d’un cabinet de thérapie puisqu’il se produit dans des salles de plusieurs centaines de personnes, que son but est de faire rire ou encore qu’il pratique une forme d’hypnose basée sur la suggestion son approche est tout à fait cohérente avec certains principes que suivent les hypnothérapeutes.
J’aimerais dans cet article analyser avec vous une prestation de Messmer afin de découvrir, audelà de la pure technique hypnotique, certains des ressorts insoupçonnés sur lesquels reposent sa pratique.
Pour commencer, j’aimerais vous inviter à découvrir cette vidéo :

 

La place de Messmer en séance d’hypnose

Dans cette vidéo de 2012, Messmer est encore inconnu en France. Il est présenté par l’animatrice comme une « star mondiale » et le présentateur dit de lui « On dirait un peu le petit frère de Garou ». Tout cela se passe très vite, en moins de dix secondes.
Il faut savoir que l’hypnose est un rapport, une relation très particulière qui s’établit à des niveaux aussi bien conscient qu’inconscient. Le cadre d’intervention de Messmer est ici très complexe. D’ordinaire, lorsqu’il est sur scène, c’est lui qui contrôle tout ce qui se passe : musique, éclairage, timing, thématiques abordées etc.
Ici, il est sur un plateau de télévision, il ne contrôle absolument rien. Pire que tout, il est indirectement placé sous l’autorité des journalistes et les « sujets » qui lui sont présentés sont des employées de la chaîne.
Pour comprendre l’importance de l’autorité journalistique, il faut se rappeler de l’expérience de Milgram. Cette expérience sociale, menée dans les années soixante aux États-Unis, portait sur la soumission à l’autorité : il a été montré qu’environ 60% des gens, lorsqu’ils étaient déchargés de leur autorité au profit d’un médecin ou d’un chercheur, pouvaient se transformer en véritables tortionnaires pour peu qu’on leur en donne la consigne. Cette expérience a été reproduite en 2009 par la chaîne France Télévision, qui a choisi de remplacer l’autorité du médecin par celle du journaliste, avec cette fois environ 90% des gens qui acceptaient d’obéir aveuglément à toutes les injonctions qui leur étaient données.
La prestation de Messmer ici est très éloignée de ces considérations puisqu’il s’agit de passer un bon moment d’hypnose, pourtant il doit tenir compte de l’autorité implicite des journalistes d’une part, mais également des liens professionnels qui lient ses « sujets » aux journalistes.
Pendant la première minute, bien que sa voix et son discours soient très élaborés, on ressent une certaine fébrilité dans son attitude corporelle : il est résolument tourné vers Jean-Philippe, le présentateur, et cherche à prendre le lead sur lui. Je suis revenu longuement sur la notion de lead dans un article sur le pretalk que vous trouverez ici.
Suite à ses explications sur les différentes techniques qu’il utilise dans le cadre de ce qu’il appelle « la fascination », l’animatrice confirme ses propos en déclarant qu’elle a vu le spectacle en avant première et qu’elle l’a trouvé « fascinant ».
À partir de ce moment là, l’attitude de Messmer change.
Cherchons à nous placer dans sa tête. L’animatrice a vu son spectacle et elle n’est pas montée sur scène, il peut donc supposer que ce n’est pas un sujet « sensible à son magnétisme ». Le présentateur, lui, semble être particulièrement intéressé par l’expérience, on le voit à son attitude corporelle. Les sujets désignés, sur le côté, n’ont aucun rôle pour le moment.
Au moment où l’animatrice valide Messmer dans sa position d’hypnotiseur, il peut passer à l’étape suivante. Cette étape n’a pas vraiment lieu dans un cabinet car souvent les personnes qui viennent me voir m’ont été envoyées par quelqu’un que j’ai pu aider avant, ce qui fait que vous me considérez déjà.
D’ailleurs, j’ai des difficultés, comme mes confrères, avec les gens qui me choisissent car je suis près de chez eux. J’ai beaucoup de mal à avoir le lead. Je suis parfois obligé de monter de ton, car sans le lead la séance ne sera pas aussi efficace. Aujourd’hui, avec les progrès d’internet, il suffit que vous marquiez « Hypnose Paris » pour me voir apparaître dans Google Map. C’est pratique ; et en même temps les gens qui viennent me voir parce que je suis proche des chez eux n’ont évidemment pas le même état d’esprit que les personnes qui viennent depuis l’étranger ou une autre ville et qui doivent parfois faire plusieurs heures de route pour une séance avec moi. J’écris ces différents articles afin que vous puissiez mieux comprendre comment je travaille, de façon à gagner du temps et de l’efficacité en séance.
Même si vous n’êtes pas envoyés par un ami, à partir du moment où vous m’appelez pour prendre rendez-vous, vous me reconnaissez en tant que thérapeute.
Messmer ici, n’est au départ qu’un invité anonyme dans une émission qui ne traite pas particulièrement d’hypnose. La présentation qui est faite de lui au départ n’est qu’une présentation. C’est lorsque l’animatrice le valide dans son rôle d’hypnotiseur qu’il peut commencer à travailler.
On observe donc que le journaliste a fréquemment cette attitude qui consiste à agiter ses mains au moment où il parle et à les refermer au moment où il termine sa question. Au moment où il demande si tout le monde est hypnotisable, Messmer en se détournant ne lui laisse pas l’opportunité de terminer ce mouvement et le termine à sa place. C’est ainsi qu’après avoir été validé en tant que fascinateur par l’animatrice, il parvient à prendre le lead sur l’animateur, en rejetant physiquement son assertion (tout le monde n’est pas hypnotisable) tout en recadrant verbalement ladite assertion (tout le monde n’est pas hypnotisable en cinq secondes).
Le fait de se détourner ainsi du présentateur est également un moyen de signifier sa force à son inconscient. D’ordinaire, cela aurait produit une désynchronisation. Messmer montre à l’inconscient du présentateur qu’il est suffisamment fort pour se détourner de lui sans se désynchroniser et qu’il peut donc travailler sur lui même s’il ne lui adresse pas la parole.
Comme il a le lead à ce moment là, il peut commencer à donner des suggestions. Regardez les mouvements de ses bras lorsqu’il explique qu’il peut amener les gens à dormir « profondément » : il désigne le sol. L’hypnose est une transe subjective, c’est-à-dire que chacun va vivre l’hypnose en fonction de ce qu’il imagine devoir vivre en état d’hypnose. Le fait de tomber au sol n’est pas obligatoire. Mais si les gens s’imaginent que c’est comme cela que se déroule l’hypnose, alors c’est ainsi qu’elle se déroulera pour eux.
Même si ce qu’il dit à partir du moment où il a le lead est dit sur un ton informatif, ce sont en réalité des suggestions destinées aux volontaires. C’est pour cela qu’il dit entre autre « tous les gens qui sont capables d’imaginer, sont capables de vivre l’aventure ». Ce n’est ni faux ni vrai, c’est une suggestion qui a pour but de mobiliser les capacités imaginatives de ses sujets. Par ailleurs, l’imagination en hypnose n’est pas nécessaire, mais elle peut être un moyen de détourner l’attention consciente du sujet vers la réalisation d’une tâche – l’imagination – qui l’empêche de mobiliser ses mécanismes mentaux habituels.
À 2’00 le journaliste invite donc Messmer à hypnotiser les sujets qu’il lui a trouvé. C’est une nouvelle fois une position compliquée pour Messmer car avoir le lead, nous l’avons dit, c’est être obéis. Ainsi, s’il obéit au journaliste en hypnotisant à sa demande les sujets, il se défausse une nouvelle fois de son lead. C’est la raison pour laquelle il invite le journaliste à participer également à l’expérience.
Avant qu’il ne prenne le lead sur le journaliste, on peut observer que ce dernier a fréquemment (0’12 & 0’50) eu une attitude un peu paternaliste avec lui, où il lui prenait le bras comme pour le soutenir. À 2’02, c’est cette fois-ci Messmer qui pose sa main sur l’épaule du journaliste pour l’inciter à se mettre au même niveau que tous les participants à l’expérience.
La scène qui suit est intéressante au niveau du lead car beaucoup de personnes ne comprennent pas vraiment l’essence du test des doigts collés.

Pretalk et test de suggestibilité hypnotique

Le test des doigts collés est très simple en soi. On demande aux personnes de serrer leurs mains, écarter leurs index et on suggère que les doigts se rapprochent et se collent. Derrière ce petit jeu anodin, plusieurs choses se passent en vérité.
La première chose, ce sont les différentes étapes. Messmer explique qu’il faut d’abord se « coller les pieds ». On pourrait gloser sur le mot « coller » qui est une première introduction de l’idée qui va suivre. Éric s’amuse même à plaisanter en disant « eh voilà, ça fonctionne déjà ! » En agissant ainsi, il dédramatise ce qui va suivre et recadre également le sens de sa pratique : Messmer cherche avant tout à faire rire les gens dans ses spectacles. Certains hypnotiseurs de spectacle n’ont pas du tout la même approche.
Mais le plus important dans le fait de « coller les pieds » ce n’est pas l’idée de coller. C’est le fait d’être obéis. Ainsi, lorsque l’on propose le test des « doigts collés » à des volontaires, il arrive que certains affirment tout haut « Ah oui je connais bien ça, je le faisais en primaire, c’est physiologique ! » Ce sont souvent des personnes qui ont du mal à entrer en état d’hypnose. Pas parce qu’elles connaissent bien, comme elles l’affirment, mais tout au contraire parce qu’elles ne comprennent pas du tout ce qui est en jeu à ce moment là.
Imaginez que vous alliez chez le dentiste et qu’il vous demande d’ouvrir la bouche. Vous ne lui répondriez pas « Oh ça je connais bien, je le fais à chaque fois que je mange ! » Ce serait insensé en vérité, même plutôt comique. Ici c’est pareil : si l’hypnotiseur vous demande de coller les pieds, toute chose que vous seriez susceptible de faire et qui ne serait pas une réponse directe et appropriée à la consigne est susceptible de freiner votre entrée dans l’état d’hypnose.
C’est le rôle de l’hypnotiseur de s’adapter.
À 2’20, Messmer a pu établir son lead sur tout le monde lorsque le présentateur trop zélé l’interromps pour demander à ce que la musique spéciale de l’artiste soit lancée. Bien que ça parte d’un bon sentiment, c’est une nouvelle fois une contestation symbolique de son leadership. On voit qu’il est déstabilisé l’espace d’un bref instant, il bredouille « Elle est subliminale la musique, ah ah ». C’est surtout son attitude corporelle qui est éloquente à ce moment-là : il donne un coup de coude au journaliste en tournant son index d’un air entendu. Le coup de coude est selon moi un geste de camaraderie : dans cette lutte pour le leading, le rôle de Messmer est d’aider le journaliste à trouver sa place. On sent bien que ce dernier est tiraillé entre son envie de participer et son rôle de présentateur. Messmer l’invite donc à lâcher-prise en introduisant de la camaraderie, il lui propose symboliquement de partager le leading.
Sa phrase sur le subliminal et le geste qu’il fait sont probablement un moyen de susciter de la confusion. La confusion et le chaos sont un moyen de faciliter l’hypnose.
À 2’58, on voit la présentatrice tomber un bref instant en état d’hypnose, état dont elle cherche aussitôt à sortir. Elle y parvient à 3’00, on la voit cligner plusieurs fois des yeux, comme pour reprendre le contrôle. La fixité du regard est l’un des premiers signes de l’état d’hypnose. Après avoir cligné des yeux, elle change sa tête de place, signe qu’elle s’est détachée du lead.
Il aurait été difficilement envisageable pour elle de se laisser hypnotiser sachant qu’elle devait assurer la bonne marche de l’émission. Par ailleurs, dans la mesure où elle avait vu le spectacle en avant-première, il est également possible qu’elle ait été un peu effrayée et qu’elle se méfie du fascinateur. Messmer prend acte et l’autorise implicitement à remplir son rôle en lui déclarant « Alors pour vous ça n’a pas fonctionné ».
Tous les autres tombent en état d’hypnose.
Si on observe leur attitude à tous les quatre, on peut remarquer que Audrey, le sujet du milieu, est celle qui est la plus réceptive à Messmer. À noter que ce n’est pas celle qui est la plus réceptive à l’hypnose : Jean-Philippe et Camille, les deux plus proches de Messmer, semblent être entrés dans des transes plus profondes. On peut le voir notamment à la façon dont ils séparent leurs doigts, de manière un peu brusque, comme s’ils s’éveillaient en sursaut.
Audrey, en revanche, tout au long de la séance, semble « magnétisée » par Messmer. À 3’27, alors que le fascinateur s’occupe de Charlotte, Audrey penche ostensiblement vers lui. À d’autres moments, quoi que le mouvement soit moins perceptible, il est quand même possible de le voir.
À 4’00, au moment où Messmer « libère » tout le monde, nous assistons à deux types de réaction. Jean-Philippe et Charlotte prennent un moment pour eux afin d’assimiler l’expérience, tandis que Camille et Audrey se tournent immédiatement vers Messmer. C’est un mouvement spontané, elles cherchent à rétablir le contact visuel d’une part et attendent inconsciemment de nouvelles instructions. Elles reconnaissent ainsi pleinement la place de leading que Messmer a prise.

La voix en hypnose

Pendant toute la partie sur les doigts collés, on peut constater que Messmer change le ton de sa voix. Nous avons déjà parlé dans un article (voir article sur hypnose ericksonienne) de l’importance de la voix dans l’hypnose. L’hypnose, c’est de la focalisation et la première chose sur laquelle se focalise le sujet, c’est la voix de l’hypnotiseur. Ainsi, par des modifications dans le timbre et le ton de sa voix, l’hypnotiseur parvient à provoquer des modifications dans l’état de conscience de celui qui l’écoute. Le choix des mots est important, le rythme également.
Mais le plus important, c’est que ce ton de voix est enregistré dans le cerveau. Ainsi, si un hypnotiseur et son sujet se revoient, cinquante ans après une séance d’hypnose, qu’importe que l’un et l’autre aient grandement changés, à partir du moment où le cerveau reconnaît la « voix d’hypnose » de l’hypnotiseur, il est capable de réactiver les mêmes circuits neuronaux que lors de la première hypnose et de retourner instantanément dans cet état.
Cette particularité de la voix fait d’elle un élément de choix dans la stratégie thérapeutique. Dès que vous avez pris une séance avec moi, le travail pour les séances suivantes est accéléré parce qu’il me suffit alors de reprendre le même timbre pour que votre cerveau réagisse aussitôt.
Tout au long de la vidéo, on distingue quatre tons chez Messmer : le ton qu’il prend lors de l’hypnose (2’35), le ton qu’il prend lors de l’hypnose éveillée (12’12), le ton qu’il prend en dehors (13’50) … et un ton un peu entre les deux qui suscite une sorte d’incertitude de la part du sujet (4’50).
Ainsi, grâce au ton de sa voix, il est capable de faire comprendre à l’inconscient lorsqu’il s’adresse à lui, il s’adresse également différemment à l’inconscient suivant s’il cherche à lui donner des instructions ou à interagir avec lui. Le ton un peu entre les deux est statégique, il
permet de s’adresser tantôt à la conscience, tantôt à l’inconscient. Ce que fait Messmer à ce moment là, c’est qu’il entre en état d’hypnose tout en se synchronisant sur la personne qu’il cherche à hypnotiser. Cela permet à un hypnotiseur qui a le lead de guider la personne dans l’hypnose. C’est une voix qui accompagne un processus, au contraire des autres qui accompagnent un état.
Enfin, sa voix non-hypnotique permet de faire immédiatement comprendre que la séance est terminée. Elle est plus claire, plus légère, dynamique.
Le meilleur hypnothérapeute du XXe siècle, Milton Erickson, commençait toute ses séances d’hypnose en disant « Ma voix vous accompagnera ». Loin d’être une anecdote, cette phrase était tout à fait stratégique : cela lui permettait de dissocier sa voix de lui-même. La voix du thérapeute ne lui appartenant plus, d’une certaine manière cela lui permet de se rendre totalement invisible. Sa voix se mêle alors aux fil de pensée du sujet, lui permettant de provoquer les changements désirés.
Les progrès récents dans le domaine des neurosciences ont permis de mieux comprendre le rôle des neurones miroirs. Ce sont les neurones du mimétisme, ils permettent de reproduire ce que l’on voit. Il semblerait également qu’en plus de ce processus de mimétisme, l’enfant apprenne très tôt à reconnaître la voix de ses parents. L’efficacité de la voix dans les processus hypnotiques pourrait s’expliquer par le réveil de cette fonction de reconnaissance.
Revenons à notre vidéo pour nous intéresser à l’induction et aux phénomènes hypnotiques présentés.

Le choix des sujets hypnotiques

Terme créé par le sexologue américain Daniel Araoz en 1979, la « nouvelle hypnose » entend moderniser les techniques de Milton Erickson afin de les rendre compatibles avec les préoccupations des nouvelles générations post-libération sexuelle. Tout génie qu’il était, Erickson ancrait sa pratique dans une approche assez autoritaire de la transe hypnotique, propre à la période où il vécut. Il demandait une participation active de ses patients à travers des consignes qu’il leur donnait (ce que l’on nomme « thérapie ordalique »). 
Mais le nouveau monde, les nouvelles générations aiment prendre une part active dans leur transe hypnotique. De plus, Erickson était avant tout médecin et psychiatre, les cas qu’il traitait étaient souvent entachés de pathologies lourdes. La nouvelle hypnose crée un cadre d’application des techniques d’inspiration ericksonienne compatible avec les nouvelles préoccupations de développement personnel. 
Aujourd’hui, les praticiens en hypnose ericksonienne sont en vérité davantage des praticiens en nouvelle hypnose : les consultants sont amenés à comprendre et participer activement à leur transe hypnotique. Là où Erickson semblait privilégier le dialogue avec l’inconscient, la nouvelle hypnose restaure le rôle de la conscience.

L’induction hypnotique

Les gens qui ne pratiquent pas l’hypnose comprennent mal l’induction. Pour le profane, c’est le moment précis où, Messmer par exemple, dis « dormez » et que les gens s’effondrent dans ses bras.

En vérité, l’induction commence avant, dès le pretalk, où nous avons vu que Messmer donnait des instructions verbales mais aussi paraverbales aux personnes présentes. Et l’induction se poursuit après que la personne ait été mise à terre.
Sur les cinq personnes qu’il hypnotise, quatre sont mise à terre, reprenons une par une les inductions.
Juste avant de dire « Vous me semblez un très très bon sujet pour moi, mais je vais commencer avec elle », Messmer a joint ses pieds au sol dans le même geste qu’au moment du test de suggestibilité. Camille et Charlotte étaient restées dans cette position mais Audrey, au milieu, a les pieds écartés et elle ne réagit pas à cette suggestion cachée de Messmer. Cette phrase peut être interprété comme un moyen de l’impliquer davantage dans le processus.
Cette phrase peut également être interprétée comme une stratégie pour surprendre Camille. Nous l’avons dit, en raison de l’organisation des personnes dans l’espace, cette dernière devait s’attendre à être la première à franchir le pas. Sur cette vidéo, nous sommes en 2012 et l’hypnose n’est pas aussi connue qu’elle l’est aujourd’hui. Je pense que tous les hypnotiseurs, qu’ils soient médecins, thérapeutes ou simple curieux, peuvent remercier Messmer de la notoriété qu’il a contribué à donner à l’hypnose, permettant pour beaucoup de gens de la dédramatiser. En 2012, l’hypnose était encore largement méconnue du grand public et Camille, « la stagiaire », n’était peut-être pas dans son assiette.
Ce ne sont évidemment que des conjectures. Dans son attitude corporelle, elle semble à la fois absente et soucieuse de bien faire. Messmer, qui était présent à ses côtés disposait de bien davantage d’informations que nous. Il n’est pas à exclure également qu’il ait pris le temps d’échanger quelques mots avec toute l’équipe avant l’émission, lui donnant un premier aperçu des différents profils.
Quoiqu’il en soit, si cette personne était anxieuse à l’idée de se faire hypnotiser, le fait de détourner son attention sur sa collègue, en faisant porter sur cette même collègue la charge d’être un « bon sujet », est de nature à lui permettre de lâcher-prise.
Messmer choisis ce moment pour l’hypnotiser. Il lui demande de se tourner vers lui (il prend le leading), pose sa main sur sa nuque, la fixe dans les yeux et tire sur son bras en déclarant « dormez ». La stagiaire s’effondre.
En vérité, Camille est déjà en état d’hypnose. Elle l’est au moins depuis le test de suggestibilité des doigts collés et probablement même avant. À 5’45, lorsqu’elle tombe au sol, on peut voir qu’elle est toujours consciente car elle a le réflexe d’utiliser son bras droit pour se réceptionner.
En vérité donc, l’état psychologique dans lequel se trouve Camille avant et après que Messmer lui demande de « dormir » ne change pas sensiblement. Ce qui change en revanche, c’est qu’en permettant au cours du sujet de se relâcher, il stabilise l’état d’hypnose et peut donc prendre du temps pour s’occuper des autres.
À 5’45 toujours, lorsque Camille s’effondre, on peut apercevoir le regard soulagé de Messmer lorsqu’il prononce « Eh voilà ! ». Nous l’avons dit, l’exercice de plateau télé est différent de la scène en raison du public invisible. Lorsque Messmer est face à une foule, qu’importe son nombre, il est capable de sentir l’esprit et l’énergie de la foule. En revanche, face à une caméra, c’est impossible. Ainsi, en jouant sur l’éclairage, la sonorisation ou tout simplement à s’adaptant à son auditoire, il peut amener même les personnes qui ne montent pas sur scène à se laisser emporter dans l’aventure qu’il propose. À la télévision, ça ne suffit pas : il doit convaincre, au-delà de son public immédiat, tous les spectateurs qui ne le connaissent pas encore.
Au moment où Camille tombe, il sait qu’il a réussi, il entre dans son élément. Comme nous l’avons expliqué, le fait de se relâcher jusqu’au point de tomber n’est pas pour le sujet un changement spectaculaire. C’est simplement un confort et un lâcher-prise supplémentaire. Mais pour le spectateur qui ne peut pas à travers son écran ressentir la présence de Messmer, avec tout le travail énergétique que cela implique, voir quelqu’un tomber en deux secondes est tout à fait spectaculaire.
Vous comprenez désormais que ce moment n’est que la suite logique des cinq minutes de « travail caché » qui ont eu lieu avant. Souvent, lors des séances pour l’arrêt du tabac, les gens n’ont pas conscience de l’ampleur du travail effectué avant l’hypnose formelle. Il m’arrive régulièrement de passer une demi-heure à préparer ce qui va suivre. C’est la partie la plus importante, comme je l’explique dans l’article sur le pretalk.

Que fait Messmer quand il touche ?

Charlotte et Jean-Philippe « tombent » au sol de la même manière. Messmer leur donne des instructions simples, qu’ils suivent immédiatement : il a le leading, donc ça ne peut que fonctionner. Comme le fait de s’effondrer n’est qu’une suggestion possible parmi tant d’autres, qui n’est pas constitutive de l’état d’hypnose, il est tout à fait possible de faire une induction debout. C’est ce que Messmer choisit de faire. S’il lui fait prendre la posture de la statue de la liberté ensuite, c’est pour la stabiliser dans une transe dynamique. S’il ne l’avait pas fait, la position aurait pu être inconfortable pour Audrey. Après avoir vu ses deux collègues tomber, sa prédisposition naturelle à l’hypnose aurait été de tomber. Ainsi, il ne lui propose pas uniquement de ne pas tomber, mais il lui propose au contraire un nouveau chemin pour l’hypnose : un chemin plus dynamique, plus actif.
Il est possible de faire des inductions où les personnes tombent, d’autres où elles restent debout. Il est possible de faire des inductions en utilisant sa voix, en tirant sur un bras, en saisissant la nuque. Il est possible de faire des inductions lentes, rapides, et même des « nano-inductions » selon Gaston Brosseau, président de l’institut Janet au Québec. Par ailleurs, nous l’avons expliqué, au moment où Messmer fait l’induction, la personne est déjà hypnotisée. Pourquoi faire une induction alors, et comment la choisir ?
Messmer l’explique à 4’58, il dit « j’aimerais aller plus loin ». L’induction est présenté comme une étape supplémentaire. Il faut bien comprendre que comme on reste conscient en état d’hypnose, tous les phénomènes qui vont se manifester procèdent de deux éléments : la capacité de l’inconscient de créer ce qui lui est demandé d’une part, mais aussi et surtout le lâcher-prise nécessaire à la conscience pour ne pas bloquer les manifestations inconscientes.
L’induction peut être vu de deux manières différentes. Si on la considère comme le processus par lequel on entre en état d’hypnose, alors force est d’admettre que l’induction se situe rarement où on la place. En fait, Messmer se synchronise sur toutes les personnes présentes et entre luimême en état d’hypnose, c’est ainsi que font la plupart des hypnotiseurs aguerris lorsqu’ils cherchent à mettre quelqu’un en état d’hypnose. C’est un processus tout à fait invisible qui revêt une dimension énergétique. Maintenant que nous savons que l’inconscient est présent et actif avant l’induction formelle, nous pouvons mieux comprendre la seconde utilité de l’induction, dans un spectacle d’hypnose ou la thérapie : c’est faire accepter à la conscience qu’elle est entrée dans un autre monde. Un monde où il devient possible d’oublier mystérieusement un chiffre aussi banal que le sept…
Mais que fait exactement Messmer quand il « touche » ? On le voit toucher les gens à la nuque, on les voit toucher leur front, tirer leurs bras, etc. Certaines personnes pensent que ce sont des points « secrets » et que n’importe qui, on touchant ces points, pourrait arriver aux mêmes résultats que le fascinateur. 
En vérité, lorsque l’on touche quelqu’un, au poignet par exemple, cela nous donne en tant qu’hypnotiseur une quantité assez phénoménale d’informations, qu’il est assez difficile de décrire par des mots.
Messmer regarde dans les yeux et pose sa main sur la nuque : il observe comment le système musculaire tiens. Cela lui permet de comprendre à quel niveau exact d’hypnose se trouve son sujet. C’est aussi une manière de prendre le lead et de transmettre une indication au corps.
En hypnose thérapeutique, le lead doit être un lead plus loin car lorsque vous venez me consulter, vous ne souhaitez pas oublier un chiffre ou avoir vos doigts collés entre vous. Vous voulez des résultats et ma méthode, parce qu’elle utilise ce genre de techniques mais à un niveau beaucoup plus adapté aux problématiques que vous m’adressez, permet de s’adapter et lorsque cela fonctionne, d’apporter des résultats sur des problématiques variées comme la maladie de Crohn, de Charcot Marie, les AVC ischémiques ou encore la maladie de Dupuytren. (voir ma page de vidéos).

Oublier le chiffre sept sous hypnose ?

« Audrey, est-ce que vous savez que vous souffrez d’un maux ? Est-ce que vous savez que vous êtes amnésique ?» À mon avis, la formulation n’est pas des plus heureuse. Lorsqu’il emploie le mot « souffrez », il perd un peu du rapport qu’il avait avec elle. On peut percevoir l’instant d’après sur la vidéo un léger recul du sujet qui marque cette perte de rapport. Lorsqu’il lui intime de dormir l’instant d’après elle réouvre les yeux, signe d’une perte de leading ; il doit lui demander une nouvelle fois « dormez, maintenant, debout » pour qu’elle consente à se laisser aller.
Deuxième formulation hasardeuse lorsqu’il lui dit « Le chiffre sept n’existe plus pour vous. Vous avez oublié le chiffre sept. » Il prononce cinq fois « sept » ce qui fait que bien évidemment, dans le contexte de cette perte de rapport, la seule chose qu’Audrey a à l’esprit, c’est le chiffre sept qu’elle était justement sensé oublier.
On voit cette défiance inconsciente d’Audrey lorsqu’elle compte sur ses doigts. Après avoir compté les doigts de ses mains dans un sens et alors que Messmer l’invite ostensiblement à poursuivre ainsi sur l’autre main, elle réagit en comptant de gauche à droite de un à cinq puis de droite à gauche de six à dix. Sans omettre le sept, au grand désarroi de Messmer.
Tous les hypnotiseurs font de la communication à double-niveau, parce qu’ils doivent communiquer en même temps à la conscience et à l’inconscient. Un hypnotiseur de spectacle doit également communiquer avec son public, ce qui rajoute de la complexité. Dans le cas présent, Messmer est dans son élément : il a endormis tout le monde sur le plateau de manière spectaculaire, la journaliste qui tiens le micro l’a présenté comme une star mondiale, tous les voyants sont au vert. Malgré cela, la situation est très complexe puisqu’il cherche maintenant à communiquer avec les téléspectateurs. Mais il doit faire cela tout en continuant de donner des suggestions à son sujet.
Si il avait utilisé des techniques de confusion ou des métaphores, cela n’aurait peut-être pas été très intelligible pour le spectateur, peu habitué à cette époque à ce genre de démonstrations. Il a donc choisis une approche maladroite du point de vue de la technique hypnotique, mais efficace compte tenu des contraintes auxquelles il était soumis.
Et maintenant que l’idée était comprise de tous, on le voit réitérer avec cette fois-ci beaucoup plus de succès. Pourtant il lui dit bien « au compte de trois, le chiffre sept sera disparu de votre esprit », pourquoi est-ce que cela fonctionne cette fois-ci ?
C’est une question de rapport. Il y a deux séquences, la première à 7’25 et la seconde à 8’25, où Messmer redonne la même suggestion d’amnésie. Dans la première séquence, on peut voir que son attention est partagée entre son sujet, la journaliste et la caméra. Dans la seconde séquence, il est focalisé sur son sujet et il le reste jusqu’à ce que la suggestion ait fonctionné, à 8’53.
Les mouvements du corps d’Audrey entre 8’40 et 9’ sont fascinants. Messmer, en lui posant les questions « 4 + 2 » puis « 4 + 3 » parvient à retrouver le leading, c’est très apparent. Ce n’est que lorsqu’il a repris le lead qu’il cherche à éprouver la suggestion, avec succès. Dès qu’il se tourne vers la journaliste ensuite, Audrey semble de nouveau « aimantée » par le fascinateur, ce qui se confirme dans la séquence de dialogues qui suit.
Le rapport pour un hypnothérapeute c’est en quelque sorte de se brancher sur le sujet afin d’être capable de le guider vers l’état d’hypnose et de le stabiliser dans cet état afin de pouvoir en utiliser ses vertus de manière stratégique.
Messmer utilise l’hypnose pour émerveiller son public, pour lui apporter un peu de magie et de rêve. Certaines personnes ne comprennent pas que le cadre est d’une importance capitale. L’état d’hypnose est un état naturel. Même si on peut utiliser cet état pour soigner ou soulager des maux, on peut aussi l’utiliser pour se distraire. Messmer doit se brancher sur ses sujets, comme un hypnothérapeute sur ses consultants, c’est la même technique, mais suivant qu’on l’utilise pour aller mieux ou pour s’amuser, elle fonctionne différemment.
En rétablissant le rapport et en restaurant son lead, Messmer parvient donc à provoquer une aphasie. Il y a divers degrés dans l’accomplissement d’une suggestion. Pour l’amnésie, le sujet peut avoir complètement oublié le chiffre, mais garder ou non en mémoire le souvenir d’avoir reçu cette suggestion. Ici, la personne n’a pas oublié, mais n’arrive plus à prononcer le mot, cela s’appelle une aphasie.

Un repas avec Eric

À peu près à la période où a été tournée cette vidéo, j’ai eu le plaisir de partager un repas avec Éric, à la fin d’un de ses spectacles. C’est quelqu’un de très accessible et qui prend souvent le temps après le show de partager sa passion avec d’autres passionnés.
Nous étions huit dans une brasserie non loin de Bobino et l’une des amies qui m’accompagnait était venue spécialement de Suisse pour le voir, c’était la troisième fois qu’elle assistait à son spectacle et chaque fois elle était invitée à monter sur scène.
Elle lui déclara alors qu’il mangeait son steak « Ça fait plusieurs fois que tu m’hypnotises, mais je n’ai encore jamais oublié mon prénom, tu crois que tu y arriverais ? » Le fascinateur prit alors une frite dans son assiette qu’il observa d’un air mystérieux avant de l’engloutir en lui demandant sur le ton de la conversation « Pourquoi, est-ce que tu t’en souviens là ? »
Mon amie se pris alors à rire en disant « Oh non, ce n’est pas juste, c’est trop facile ! »
J’ai souvent considéré que, quel que soit le domaine, le plus dur est souvent de faire simple. C’est là le talent de Messmer : avoir rendu l’hypnose si simple en apparence qu’il peut l’utiliser pour créer un spectacle comique où l’hypnose, quoi qu’elle soit centrale, n’est qu’un outil pour nous amener à vivre une aventure unique.
Je lui ai demandé si le terme de « fascinateur » était simplement du marketing ou s’il se considérait vraiment davantage comme un fascinateur que comme un hypnotiseur.
Il me répondit qu’avec mon regard d’hypnotiseur, moi je voyais de l’hypnose mais qu’un magnétiseur verrait probablement du magnétisme. Lui, avec son regard de fascinateur, considérait que ce qu’il faisait était de la fascination…
Cette étiquette de « fascinateur » lui a également été utile pour se produire en Belgique, où une vieille loi de 1892 interdit les spectacles d’hypnose.
D’ailleurs, avec les années, Messmer a été de plus en plus considéré comme un hypnotiseur que comme un fascinateur, ce qui a conduit la justice Belge à lui interdire de se produire en spectacle.
Si vous avez l’occasion de le voir un jour sur scène, je ne peux que vous conseiller de faire le déplacement. Que vous soyez simple curieux ou étudiant en hypnose, les spectacles de Messmer sont toujours surprenants et amusant à découvrir. Comme en plus les sujets sur scène ne sont jamais les même, il y a dans le spectacle une large part d’improvisation qui contribue au renouvellement du comique de situation.En plus, maintenant que vous avez de nouvelles clefs de compréhension, vous aurez un regard tout à fait différent sur tout ce qui est « caché » mais qui contribue pourtant au succès de la chose.
Vous pouvez déjà vous entraîner à les repérer dans ces deux autres démonstrations « fascinantes » :