Au début des années 2000, le thérapeute parisien Olivier Lockert, qui est par ailleurs fin connaisseur de Janet, s’intéressa de plus près à la notion de dissociation. Pierre Janet avait mis en exergue cette dissociation qui existe naturellement entre la conscience et le reste de nos processus psychobiologiques et Freud avait appelé cela l’Inconscient. Olivier Lockert se demanda ce qu’il se passerait si, au lieu de chercher à augmenter par la focalisation la dissociation, il faisait tout à fait l’inverse. Il décida de commencer ses séances d’hypnose, non par l’induction, qui a pour but de faire « plonger » le consultant en état d’hypnose, en le dissociant ; mais au contraire par ce que l’on appelle traditionnellement le « réveil » et qui est une phase où l’individu hypnotisé est progressivement ramené à la réalité à l’aide de techniques non dissociantes.
En cherchant à réveiller des gens qui n’étaient pas endormis, il découvrit une nouvelle manière d’appréhender l’Inconscient. À sa surprise, les personnes qui venaient le consulter entraient dans une sorte de rêverie d’hyper lucidité où ils pouvaient directement accéder à leur inconscient, sans l’intermédiaire du thérapeute. Dans ces états de « pleine conscience », l’Inconscient se manifeste sous la forme de symboles. Ainsi il découvrit que des personnes qui n’avaient jamais étudié le psychanalyste Carl Gustav Jung, étaient pourtant capables d’entrer en contact avec les mêmes archétypes que ce dernier avait décrits.
S’intéressant aussi bien à la psychanalyse qu’à la physique, ou les sciences ésotériques, tout un gardant un solide bagage en hypnose ericksonienne, il proposa un nouveau paradigme de travail.
Lorsque l’individu est dissocié, les mots prennent du sens indépendamment de leur contexte, on appelle cela le littéralisme. Suivant l’état de dissociation d’un individu hypnotisé, une même phrase peut ne pas avoir le même sens. Par exemple, on considère parfois que dire à quelqu’un « vous ne ressentez aucune douleur » peut, au contraire, susciter des douleurs, le mot « douleur » prenant avec le littéralisme un sens démesurément important par rapport au reste du texte. On dit que l’inconscient ne comprend pas la négation en hypnose (je ne veux pas voir dans ma tête un éléphant rose)
En état de conscience augmenté, le littéralisme disparaît, l’individu perd toute suggestibilité. Cela permet de protéger le consultant contre les erreurs d’incompréhension en lui assurant qu’il n’y a aucun risque pour lui de se faire manipuler. Le thérapeute n’est plus considéré comme un stratège de l’esprit, mais au contraire comme un guide qui parle d’égal à égal avec la personne qu’il accompagne.
Comment l’hypnose humaniste agit-elle ? Si pour certains, l’essentiel de l’hypnose réside dans la dissociation, la focalisation ou encore les ondes cérébrales, pour Lockert elle réside dans l’information. Tout est information, de la chaise sur laquelle nous sommes assis aux cellules qui nous composent en passant par les ondes qui nous traversent et permettent par exemple à nos téléphones de se connecter à internet. Une pierre est une forme d’information dense. Une idée est une forme d’information subtile.
Olivier Lockert pense que grâce à l’Hypnose Humaniste, il est possible d’accéder sous forme de symboles et d’archétypes aux informations subtiles dont nous sommes composés, afin d’avoir un impact dessus. Lorsque nous travaillons au moyen de cet outil sur un archétype, nous travaillons bien évidemment sur l’individu qui vient consulter, mais également sur toutes les personnes qui souffrent à cause du même archétype. C’est pourquoi il a choisi de qualifier son hypnose d’humaniste : parce que dans sa philosophie de pratique, lorsque l’on aide une personne, c’est en vérité toute l’humanité qui en bénéficie.
Un des apports non négligeables du thérapeute a consisté à montrer qu’il était possible d’obtenir les mêmes bienfaits en état de pleine conscience qu’en état de dissociation, ce qui ouvre de grandes perspectives dans ce domaine.
Dans son sillage, d’autres formes d’hypnoses, que l’on peut qualifier de « spirituelles » ont vu le jour, qui usent pareillement d’états augmentés de conscience, non dissociatifs. Certaines techniques de respiration ou certains accessoires propres à la méditation comme les bols chantants, la sauge brûlée ou les tambours chamaniques sont parfois utilisés pour permettre d’explorer de nouvelles possibilités avec les états modifiés de conscience.
En toute chose, le plus dur est souvent de faire simple. Ernest L. Rossi (né en 1933) a été un élève, un collaborateur et un ami d’Erickson pendant les dernières années de sa vie. Il a réuni l’ensemble de ses articles et a contribué à les faire connaître en les publiant sous quatre volumes massifs intitulés les « Collected Papers ». C’est probablement l’un des thérapeutes ayant le mieux compris Erickson et perpétuant son héritage de la façon la plus juste, pourtant, de prime abord, sa technique en semble très éloignée.
Ernest Rossi, parle peu. Vraiment très peu. Il a compris que lorsqu’un rythme ultradien est lancé, il est criminel de l’interrompre. Ce qui contraste avec les trésors de rhétorique que Erickson pouvait déployer. Les séances de Rossi peuvent parfois durer une dizaine d’heures, au cours desquelles il ne prononcera pas plus d’une demi-douzaine de phrases. Contrairement à Erickson, qui malgré ses explications, demeurait assez énigmatique sur sa pratique, Rossi développe de grandes et passionnantes théories pour expliquer les deux ou trois phrases qu’il prononce.
Ainsi, son œuvre majeure, « Du symptôme à la lumière » est composée de deux parties qui traduisent de manière flagrante ce contraste. Dans la seconde partie, le lecteur est invité à découvrir des protocoles d’une simplicité enfantine et d’une efficacité redoutable. Pourquoi la méthode de Rossi fonctionne-t-elle si bien ? Pour le savoir, le lecteur devra se plonger dans la première partie du livre qui est elle, d’une complexité apparente à faire pâlir. Le psychothérapeute y expose des graphes stochastiques, mêlant physique, biologie et mathématiques afin de nous amener à toucher du doigt la redoutable efficacité de l’hypnose.
Chaque cellule de notre organisme, que ce soit une cellule du foie, de la peau ou de l’intestin, possède le même ADN. C’est le processus d’expression génétique qui va déterminer que telle cellule deviendra une cellule osseuse et telle autre une cellule de l’œil.
L’épigénétique est une discipline de la biologie qui s’intéresse à comment cette expression génétique va évoluer en fonction de critères environnementaux. Par exemple, nous savons que le sexe d’une tortue est lié aux températures auquel son œuf aura été exposé. Rossi a consacré l’essentiel de sa vie à étudier l’hypnose du point de vue de l’épigénétique afin de mieux comprendre en quoi elle était un processus tout à fait naturel d’autoguérison et dans quelle mesure elle avait le pouvoir de modifier notre propre expression génétique.
Sa pratique repose sur des concepts novateurs en sciences humaines, comme la chaotobiologie, où comment le chaos et l’auto-organisation des systèmes s’articulent ensemble afin de générer spontanément des solutions créatives. Il explique comment les rythmes ultradiens (rythme inférieur aux rythmes dits « circadiens » de 24h) influencent notre psyché. Comment le système nerveux central, le système nerveux autonome, endocrinien, immunitaire, etc. obéissent à des rythmes naturels cycliques qui eux-mêmes influent tous les aspects de la psychologie, notamment à des niveaux psychophysiologiques et psychosociaux.
Il considère que le dénominateur commun de la plupart des approches modernes de guérison holistique (hypnose, méditation, prière, etc.) réside dans le fait qu’elles « facilitent la périodicité adaptative complexe de nos rythmes chaotobiologiques de performance et de guérison ».
Il met en particulier en avant « le réflexe de régénération ultradienne de vingt minutes qui joue un rôle dans la coordination des systèmes majeurs de l’autorégulation psychocorporelle, toutes les quatre-vingt-dix à cent vingt minutes, tout au long de la journée ».
Vous l’aurez compris, Rossi est quelqu’un pour qui j’ai énormément d’admiration et de respect, mais il n’est pas toujours aisé d’expliquer comment il m’inspire. Pour simplifier, Ernest Rossi explique, en s’appuyant sur les travaux d’un prix Nobel de biologie, que l’ADN évolue en suivant trois rythmes différents, qui correspondent en fonction de leur durée à des « couches » différentes d’ADN. Il y a un rythme de 5 minutes, un autre de 20 et le dernier dure deux heures. Lorsque j’ai découvert ses travaux, ces durées m’ont évidemment fait penser au débat qui existe en psychanalyse sur la durée que doit avoir une séance. Le docteur Jacques Lacan avait des séances de cinq minutes. Elisabeth Rudinesco disait qu’une séance de moins de deux heures était inefficace, d’autres psychanalystes gardent régulièrement vingt minutes.
Cela fait partie de mon travail d’observer dans quel lequel de ces rythmes ultradiens un sujet se plonge, afin de savoir à quel niveau les changements s’opèrent. Pour les arrêts de tabac, il arrive régulièrement que la séance dure plus de deux heures. Pour d’autres problématiques, elle peut durer vingt minutes. Il faut bien comprendre que ces trois durées correspondent à trois travaux de nature différente, mais de qualité identique. Les séances de cinq minutes sont tout autant légitimes que les séances de deux heures. J’ai compris en lisant Rossi pourquoi Erickson faisait de longues séances pour certaines demandes. Il était capable de faire gagner deux tailles de poitrine à une femme en une seule séance de dix heures (au cours de laquelle quatre cycles de deux heures se déroulaient). On comprend désormais que le travail d’Erickson était génétique. Il a d’ailleurs été vérifié que lorsqu’une pathologie génétique était guérie par Erickson, elle n’était plus retransmise par ses enfants après.
Cette science est passionnante, d’autant qu’elle n’en est encore qu’à ses balbutiements. En lisant « Psychobiologie de la guérison » ou la première partie de « Du symptôme à la Lumière » on a parfois l’impression que Rossi est en quête d’un prix Nobel et qu’il s’adresse davantage à un public de spécialistes. Il fait de l’esbroufe en somme. Mais la seconde partie est véritablement lumineuse. Rossi est lentement parvenu à éliminer tout le superflu pour ne garder que l’essentiel. La quintessence de l’hypnose, d’une pureté limpide. Il n’y a rien à ajouter et surtout, signe de perfection, il n’y a rien à retirer. Chaque mot est à sa place, aucune virgule ne manque.
La particularité de Rossi est d’avoir considéré que ces rythmes ultradiens étaient l’hypnose. Beaucoup d’intuitions que j’avais eues dans mon travail prirent un sens nouveau en découvrant ces informations et je pus affiner mes techniques dans le but d’en améliorer l’efficacité.
Il y a un autre hypnotiseur dont j’apprécie énormément les travaux que j’aimerais mentionner ici. Il s’agit de Gaston Brosseau, président de la Société québécoise d’hypnose. Gaston Brosseau explique que le temps de réaction normal est d’environ 0,4 seconde. Pour arriver à ce résultat, il a demandé à ses patients de saisir une règle au moment où elle tomberait. 0,4 seconde, c’est donc le temps qu’il y a entre le moment où la règle se met à tomber et où l’individu l’attrape. C’est aussi selon lui le temps que doit durer une induction hypnotique. Dans son livre « L’hypnose, une réinitialisation des cinq sens » il écrit avec humour : « La notion de la profondeur de la transe n’a plus aucun sens dans ma façon d’intervenir. Pour moi au plan clinique la question ne se pose pas. Est-ce qu’une femme peut être un peu, moyennement ou beaucoup enceinte ? On est en hypnose ou bien on ne l’est pas, comme on est enceinte, ou bien on ne l’est pas. »
Pour préparer ses patients à la nanohypnose, Brosseau leur demande de… ne rien faire. S’ils ne font rien, alors ils peuvent reprendre des forces, laisser les choses suivre leur cours et se concentrer sur le moment présent, se reconnecter à ce qu’ils voient, entendent, ressentent, et au plaisir des cinq sens. Le psychothérapeute considère l’hypnose comme une sorte de bouton de redémarrage, qui réinitialise les connexions synaptiques des cinq sens et qui nous permet de retrouver l’élan vital.
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Terminons en parlant de Jean Godin, que j’ai connu personnellement lorsque j’étais adolescent. Dans les années 90, Jean Godin a fait connaître l’hypnose ericksonienne en France en créant l’Institut Milton Erickson de Paris. J’étais passionné par Erickson dans mon adolescence, j’avais lu les différents livres sortis sur lui en français et je lisais même les livres en anglais qui n’avaient pas été traduits, lorsque je parvenais à me les procurer. J’ai réussi à être pris comme cobaye pendant les formations de Jean Godin, ses élèves s’entraînaient sur moi et moi, je pus ainsi réussir à écouter de nombreux cours.
J’ai une pensée émue pour lui aujourd’hui, en songeant à comment le médecin et psychiatre ressemblait de plus en plus à Erickson au fil des années.